Je vis à côté de Valence et je ne cesse de vous parler par ici de la richesse de ce territoire drômois (et de son voisin ardéchois). Il faut dire que même lorsque je crois commencer à vraiment bien connaître ce qu’il y a et ce qu’il se passe autour de chez moi, je ne suis pas à l’abri d’une découverte originale. Et au début du mois, ce sont deux lieux atypiques que j’ai pu visiter à La Baume d’Hostun, un petit village à une vingtaine de kilomètres de Romans. J’ai en effet été invitée par Valence Romans Tourisme, en même temps qu’un groupe de créateurs de contenus locaux, à venir découvrir la Ferme Intégrale et le tiers-lieu Le Chalutier.

La Ferme Intégrale, producteur en aquaponie
Une ferme originale
J’avais repéré les serres de la Ferme Intégrale depuis quelques temps. Je les longe en effet lorsque je me rends dans le Royans, et il est difficile de ne pas les voir. J’avais également échangé avec eux lors de la dernière édition du festival Valence en Gastronomie, et cela avait piqué ma curiosité. J’étais donc ravie de cette occasion proposée par Valence Romans Tourisme d’en savoir plus sur la Ferme Intégrale.

Il faut dire que c’est une ferme très atypique qui produit des légumes, mais aussi du poisson. En effet, la Ferme Intégrale travaille selon la technique de l’aquaponie. Ce système est l’héritier contemporain de la façon dont les Aztèques cultivaient le maïs et les haricots sur des îles artificielles flottant à la surface de petits lacs de montagne, mais aussi de la façon dont en Chine on associe pisciculture et culture du riz depuis 1700 ans. Aujourd’hui, l’intérêt pour l’aquaponie est grandissant, en particulier pour imaginer ce que pourrait être la production alimentaire de demain. Les principaux tests sont plutôt liés à l’envie de développer une agriculture urbaine. Ainsi des promoteurs immobiliers ont créé des fermes verticales en aquaponie lors de la création de nouveaux ensembles urbains.

La Ferme Intégrale n’est pas vraiment urbaine, mais son emplacement ne doit rien au hasard. Située à la sortie de l’autoroute, elle est facile d’accès. Mais surtout, elle est à quelques centaines de mètres de l’Isère et au dessus d’une nappe phréatique qui n’est pas sujette aux sécheresses. L’autre originalité de la Ferme Intégrale, c’est le choix du poisson. Si la plupart des fermes aquaponiques font grandir des truites, ici, c’est le sandre qui a été choisi. En effet, ce poisson ne nécessite pas une eau trop fraîche, ce qui limite la nécessité de refroidir l’eau. Quant aux serres, elles ne sont pas chauffées mais un système de monitorage permet de gérer au mieux les ouvertures et rideaux pour maintenant la température idéale.

Mais l’aquaponie, c’est quoi ?
Pour mieux comprendre cette ferme si particulière, il faut que je vous parle un peu de l’aquaponie. C’est un écosystème construit autour de la circulation de l’eau entre les bassins des poissons de la pisciculture et les bassins des légumes dans la serre. L’eau de la pisciculture se charge en ammoniaque à cause des déjections des poissons. Une fois les boues séparées, elle passe aux UV pour détruire virus et bactéries avant d’être biotraitée par des bactéries pour dégrader l’ammonique en nitrite puis en nitrate. On y ajoute un peu de fer et on obtient alors une eau chargée de nutriments qui va servir pour faire pousser les plantes. Celles-ci sont installées sur dans des petits godets ou des rigoles contenant du substrat, et posées sur des radeaux flottant à la surface des bacs. L’eau chargée en nitrates est régulièrement oxygénée puis envoyée dans les bassins de la serre. Une circulation d’eau est créée et l’eau est récupérée en sortie de bassin, appauvrie de plus de 75% des nitrates qu’elle contenait en arrivant. Elle est alors prête à être réinjectée dans les bassins des poissons.

Vous l’aurez compris, il y a très peu de pertes dans l’ensemble du processus. A la Ferme Intégrale, la perte en eau (à cause de la transpiration des plantes) nécessite d’injecter 5 à 7 m3 d’eau dans le système lors des journées d’été les plus chaudes mais la plupart du temps, elle est négligeable. C’est de l’eau de pluie récupérée qui est utilisée généralement (de l’eau de forage s’il n’y pas eu assez de pluie pour remplir les récupérateurs). Au final, une fois le système lancé, la consommation d’eau est très faible.
C’est parti pour la visite
Après ces quelques explications générales sur l’aquaponie, nous sommes partis à la découverte des installations de la Ferme Intégrale. Nous avons vu depuis une plateforme d’observation les bassins des poissons qui restent dans la pénombre pour être dans les meilleures conditions pour la croissance des sandres. Ce n’est pas la partie la plus agréable à visiter car c’est très bruyant, à la fois chaud et humide et l’odeur est assez forte. Nous avons ensuite vu le stockage des aliments et constaté que la taille de ceux ci varie pour être adapté à la croissance du poisson (bémol écologique, l’aliment est produit en Bretagne par la coopérative Le Gouessant, un des plus gros producteurs d’alimentation animale en France et un spécialiste de la conduite d’élevage industriel). Les sandres arrivant à la ferme à l’état d’alevin (la reproduction du sandre est mal connue et une seule personne actuellement sait le faire en France, dans les Ardennes). Ils y grossissent pendant un an, jusqu’à atteindre 1 kg. Il leur aura fallu 1 kg d’aliment pour cela. Puis nous jetons un œil au laboratoire de levée des filets : un sandre d’1kg correspond à environ 800 grammes de filets. Le reste est revendu à un musher pour l’alimentation de ses chiens.

Nous partons ensuite dans la serre pour des explications détaillées sur la production des légumes. Ici, on ne cultive que des légumes feuilles car ils n’ont besoin que de nitrates pour pousser. Pour obtenir d’autres légumes, il faut d’autres nutriments dans l’eau et cela impliquerait de les ajouter (à noter toutefois qu’une toute petite production de tels légumes est faite en utilisant les boues résiduelles de l’eau issue des bassins des poissons). C’est vraiment très intéressant de voir comment tout est réalisé, depuis le moment où les graines sont semées jusqu’au légume prêt à être consommés. Le jour où nous y étions, il y avait pas mal de salades différentes, du chou kalé, des herbes aromatiques, etc. L’avantage de cette méthode de production, c’est que l’on peut avoir des légumes toute l’année et ainsi s’affranchir en partie de la saisonnalité. (Et, à mon avis, l’inconvénient outre l’aspect écologique lié au transport des alevins et de l’alimentation puis des produits, une partie étant envoyée à Rungis, c’est qu’on perd la notion de saison dans l’agriculture encore un peu plus).


Et si on goûtait ?
Nous avons terminé la visite par une dégustation des produits transformés directement à la ferme. En effet, en plus de vendre les filets de sandre frais et les légumes, la Ferme Intégrale a développé une petite gamme de produits directement travaillés sur place. Celui qui m’avait vraiment plu lorsque je l’avais goûté à Valence en Gastronomie, c’était le filet de sandre fumé. J’ai tout autant apprécié cette seconde dégustation. Moins gras et plus subtil que le saumon fumé, le sandre fumé peut être servi en dés dans une salade ou bien à l’apéritif. Nous avons aussi pu tester la nouveauté Sand’Rillette : une rillette de sandre et c’est un vrai coup de cœur gustatif. Enfin, nous avons pu goûter une tartinade à l’oseille. Ce n’est pas ma préférée car la préparation manque du petit goût acidulé qui fait tout le charme de l’oseille.



(*) La Ferme Intégrale, 222 rue des Bleuets, 26 La Baume d’Hostun. Si vous souhaitez visiter, savoir où trouver leurs produits, ou en commander, rendez-vous sur le site internet de la Ferme Intégrale.
Le Chalutier, tiers lieu rural et citoyen
Une histoire singulière
Après la visite de la Ferme Intégrale, nous avons pris le chemin du Chalutier. Ce tiers lieu rural et citoyen est installé dans les locaux d’un ancien centre de convalescence des années 1950. Le centre a été construit sur des terres léguées à la Congrégation des Filles de la Charité par la veuve d’un propriétaire fermier qui n’avait pas d’héritier. Elles y construisent une maison de repos pour les jeunes filles ayant souffert de tuberculose mais qui ne sont plus contagieuses. Avec le recul de la tuberculose, le centre de convalescence s’ouvre à différentes suites de pathologies. Peu à peu, les Sœurs se désengagent aussi du quotidien du centre tout en restant propriétaires du centre Sainte Catherine Labouré.

En 2021, les derniers patients quittent les lieux, devenus inadaptés aux pratiques de soin. Un projet de tiers lieu est monté : le Chalutier est né. L’association intègre les locaux peu après la fermeture du centre de convalescence. Les locaux, fonctionnels mais vieillots, n’ont pas eu le temps de se dégrader. Après nous avoir présenté l’histoire du lieu, Thomas qui nous accueille nous emmène le visiter. Il nous entraine de la cave au grenier, pour que nous nous rendions compte de l’état et du potentiel des lieux. Dans certaines parties des bâtiments, aujourd’hui inutilisées, la visite prend des allures d’urbex. Et notre imagination nous fait envisager des scénarios de films d’horreur.




Une architecture typique des établissements de soin de l’après-guerre
Parmi les éléments architecturaux remarquables, j’ai noté la terrasse avec sa pergola ainsi que la chapelle. Située au premier étage du bâtiment principal, ses fenêtres ont une forme originale et accueillent des vitraux au graphisme intéressant. Je n’ai pas (encore) réussi à trouver des informations à leur sujet, mais ils m’intriguent fortement.




Quelques détails des vitraux : le Saint Suaire, les clous de la Passion, et les dés des soldats romains tirant au sort les vêtements du Christ
Un parc immense
En plus du bâtiment, le Chalutier dispose d’un immense parc de presque 7 hectares. La promenade y est agréable et permet de bénéficier de jolis points de vue sur les contreforts du Vercors et sur la vallée de l’Isère. Comme il s’agit d’un ancien centre de suites de soins, les allées sont ponctuées de nombreux bancs. Ceux en ciment ont un charme désuet. Dans les prairies, j’ai pu repérer quelques orchidées, essentiellement des orchis pyramidaux à cette période de l’année. Enfin, nous avons aussi profité de l’ombre des grands tilleuls pour déjeuner dehors avec les occupants du Chalutier.





Un lieu de partage
Le Chalutier est un tiers lieu, voulu comme un lieu de partage. De nombreux évènements y sont organisés : marchés d’été à l’ambiance guinguette, concerts, etc. Ce sont aussi des espaces qui sont à louer pour les artistes et artisans ou encore un studio de répétition. Les profils des occupants sont variés, et nous avons pu le constater au fil des étages. Certains avaient laissé leurs clés à Thomas pour que nous puissions jeter un œil à leurs ateliers. J’ai ainsi découvert des univers très différents, de la poterie à la couture en passant pour la marqueterie ou les arts plastiques.





Après la visite, nous avons eu la chance de participer chacun à 2 ateliers. Nous avons fait un atelier d’art-thérapie, installés sous les arcades, en extérieur mais abrités de la pluie battante. Le but était de se focaliser sur les couleurs, le mouvement du pinceau ou de la brosse, et les effets produits, en particulier en superposant les couleurs ou ajoutant plus ou moins d’eau à la peinture acrylique, sans chercher à représenter quoi que ce soit. J’ai trouvé cet atelier très apaisant, très relaxant, et cet effet était décuplé par le bruit de la pluie. Puis, je suis allée dans l’atelier d’Ariane la potière pour une initiation au tournage de la terre. Après mon atelier modelage chez Amélie il y a un peu plus de deux ans, j’avais eu envie d’essayer le tour sans jamais en avoir l’occasion depuis. J’étais donc ravie de pouvoir le faire cette fois. Après la démonstration d’Ariane, c’est à notre tour de tourner un cylindre. Spoiler alert : ça semble beaucoup plus facile quand Ariane le fait ! Mais j’ai réussi à sortir un presque cylindre. J’ai vraiment aimé les sensations du contact de la terre lors du tournage, mais il va falloir que je m’entraîne si je veux sortir des pots dignes de ce nom.


atelier art-thérapie


Initiation au tour de potier dans l’atelier Aria Terra d’Ariane Bonnet
(*) Le Chalutier, 301 côte Simond, 26 La Baume d’Hostun.
Le site internet du Chalutier permet de découvrir les différents profils des occupants du lieu, ainsi que les propositions festives et culturelles. Les artisans proposent aussi régulièrement des stages, n’hésitez pas à les contacter directement.A noter : jusqu’au 16 juillet 2025, le Chalutier réalise une levée de fonds citoyenne afin de permettre à l’association de se porter acquéreur du bâtiment comme cela avait été prévu dans la convention temporaire d’occupation. Deux modes de participation sont possibles : un don jusqu’à 1000€ ou un prêt pour les montants supérieurs.
EDIT du 15/08/2025 : Bonne nouvelle : la campagne de levée de fonds citoyenne a permis de réunir un budget suffisant pour lancer la phase suivante du projet de rachat du bâtiment !
La Baume d’Hostun – Drôme – juin 2025

(*) Les visites et ateliers évoqués dans cet article ont été réalisés dans le cadre d’un instameet auquel j’ai été invitée par Valence Romans Tourisme (constituant ainsi une collaboration commerciale non rémunérée). Je remercie l’office de tourisme ainsi que les partenaires pour leur accueil et les échanges que nous avons eus.
Comme à chaque fois, je livre ici un avis sincère, correspondant à l’expérience que j’ai vécue.



































































































































































































































